Vendredi 20 septembre dernier, dans la salle de projection du casino de Pléneuf, nous assistions à une belle leçon de cinéma. Le public, attentif, a savouré le récit des échanges entre réalisateurs et compositeurs. Les cas exposés diffèrent, un « work in progress » avec le projet de Caroline Rubens et la collaboration fructueuse entre Yan Volsy et Nathalie Marcault sur son film « Pierdel ». Morceaux choisis.
Ce matin-là, deux exercices nous sont proposés pour comprendre comment la musique s’inscrit dans la conception d’une œuvre. Le premier porte sur une démarche encore en cours, celle que Caroline Rubens partage avec le compositeur et interprète Gaël Desbois et qu’elle qualifie d’« étape de conception prénatale, de laboratoire ». Son film Le secret des balançoires découle d’un rêve, ou plutôt d’un cauchemar, récurrent, obsédant, paniquant. Les images mentales se mêlent à ses souvenirs et elle imagine une enquête familiale pour comprendre ce rêve et les sentiments associés. La réalisatrice pressent que le processus intellectuel de l’investigation asséchera les sensations nocturnes et c’est « pour fixer ces émotions » qu’elle demande à Gaël Desbois de concevoir une musique, de recréer la tonalité du rêve.
Leur collaboration se fera autour des premiers matériaux qu’elle met à disposition du compositeur : les textes qu’elle a écrits (et notamment ceux qui ont convaincu le jury de la SCAM de lui attribuer la bourse Brouillon d’un rêve) et des archives familiales en super 8. Ici la fonction de la musique recherchée est expressive, il s’agit d’accompagner la symbolique du rêve, de recréer un ressenti.
Lecture sous tension
Gaël Desbois, retenu sur un autre projet, ne peut témoigner de sa recherche auprès du public de Doc’Ouest, mais Caroline Rubens propose une lecture d’un extrait de ses textes par la comédienne Catherine Riaux. Les images super 8 défilent sur l’écran, l’attention de l’assistance résonne entre les mots. Quand la lumière revient dans la salle, l’émotion est palpable.
De retour au micro, Caroline rapporte son besoin de s’approprier les accords proposés par Gaël, « je fais ma sauce, je malaxe, je recoupe, puis il retravaille, remet ça au “propre” ». Un aller-retour simple, sans atermoiement, qui s’appuie sur une amitié de longue date et son intérêt pour son travail. Caroline avait retenu d’une rencontre à la SACEM sur les duos réalisateur/compositeur, qu’il fallait « une bonne complicité, une vraie entente et se faire confiance », c’est ce qui a prévalu lors de son choix quant au compositeur de la musique de son film. Elle ajoute avoir aussi été encouragée par la récente création de Gaël Desbois sur la pièce de théâtre d’Arnaud Stéfan, À nos étoiles.
Du temps et des mots
Les deux réalisatrices présentes à cette table ronde font toutes deux l’expérience d’une musique originale pour la première fois et la question du “casting” est importante comme le rappellent Nathalie Marcault et Yan Volsy.
« Quand Nathalie m’a contacté, les mots clés ont été Tati, Pierre Etaix, grenier, bricolage… Et savoir qu’elle avait fait la démarche de connaître mon travail, a confirmé mon envie d’y aller », confie Yan Volsy. Ici, le duo mise sur la proximité, la « connexion évidente » entre André Delepierre dit Pierdel, le personnage du film, chef accessoiriste et responsable des effets spéciaux pour le cinéma, et le compositeur. « Yan a un univers assez joueur, bricoleur, et comme Pierdel l’est aussi, j’ai pensé que leurs deux univers pouvaient résonner », précise la réalisatrice.
Leur travail « à quatre mains » a démarré plus tard sur ce projet. Le montage était avancé mais il restait des séquences à tourner. « Il y avait encore du temps pour créer », une notion essentielle qu’évoque Yan Volsy. « C’est un classique d’associer le musicien très tardivement, genre deux semaines avant le mixage… ». Pour ce projet, il a apprécié « d’avoir le temps de s’approprier les nourritures que sont les mots du personnage et les images. Je savais que je pourrais y penser sur mon canapé, sous la douche, en marchant, car l’inspiration ne vient pas seulement devant un instrument ! ». Pour Nathalie Marcault, l’opportunité de la musique, offerte par une aide obtenue de la Région Centre, est vécue comme une chance. « Au montage, j’avais utilisé une matière hétéroclite : les objets de trucages de Pierdel, ses photos ou archives super 8 et des extraits des films sur lesquels il a travaillé », l’envie était de donner au film « sa propre identité musicale ».
Et si elle pressentait que la musique avait de « l’espace pour s’exprimer », celle-ci ne devait pas « casser l’architecture mise en place par le montage, mais plutôt apporter son grain de sel, un deuxième degré, un éclairage sur le personnage. »
Pour comprendre ce subtil dosage, les deux auteurs nous invitent à découvrir deux étapes de leur collaboration : la première musique proposée par Yan et celle qui est devenue « la mélodie du personnage ». Les deux bandes-son témoignent des allers-retours constructifs par lesquels ils sont passés. Il leur a fallu un peu de temps avant de trouver comment se parler : « les gens pensent souvent qu’il est difficile de parler à un musicien quand on ne l’est pas soit même. C’est évidemment possible, il suffit de parler un langage simple, du français avec des adjectifs par exemple !! ». Nathalie précise « qu’elle s’efforçait de faire des retours précis, de pointer ce qui lui convenait ou pas. Je lui demandais aussi que la musique n’ait pas de “l’avance sur l’image”, ne dévoile pas les séquences à venir ». Un bel exemple de musique qui dépasse son rôle d’illustration pour apporter une dimension supplémentaire au film.
Comment passer par l’écrit
Pour clore la table ronde, Aline Jelen, de la division culturelle de la SACEM, était invitée à présenter les différents dispositifs de soutien aux musiques originales de film. Au-delà du rappel des critères d’accès aux aides, elle s’est attaché à la formulation des intentions musicales. On l’a vu, les écritures documentaire et musicale se nourrissent et trouvent à s’harmoniser mais encore faut-il savoir exprimer son désir commun.
C’est de ce constat qu’est partie la Sacem pour définir l’enjeu majeur des dispositifs d’aide : permettre aux artistes musiciens et réalisateurs de se comprendre, de parler le même langage pour mieux nourrir l’échange créatif. Aline Jelen précise qu’« on doit sentir l’implication des deux auteurs en présence, la concertation et leurs échanges ». Yan Volsy, lecteur dans certains comités, ajoute qu’il apprécie « de comprendre le désir du duo réalisateur-compositeur, de saisir que la rencontre a eu lieu, qu’ils réfléchissent à une méthode. Et tout ça doit aussi se traduire concrètement dans le budget ». Aline Jelen insiste sur le critère « temps » indispensable pour une vraie collaboration et la cohérence des arguments présentés, que c’est ce qui explique qu’il ne faut pas forcément déposer trop tôt « pour laisser les choses mûrir » ni trop tard pour « donner du temps à la création ».
Au-delà du plaisir pour l’audience, nombreuse, d’avoir eu accès à ce qui préfigure les films, on retient de ces échanges savoureux la nécessité d’un dialogue sincère, d’une recherche d’équilibre, d’une envie de construction commune et renouvelée au fil du temps.
Elodie Sonnefraud
Photographie en Une, Lecture par Catherine Riaux © AGM productions
Photogramme © Caroline Rubens
Pierdel © Alter ego production