Vendredi dernier Films en Bretagne nous invitait à participer à un débat sur l’audiovisuel public suivi d’une présentation de la Plate-forme Bretagne, proposition de média global décentralisé portée par l’Union des professionnels. Echos.
Au menu de ce début d’après-midi, l’analyse du contexte historique et politique de la décentralisation et de l’audiovisuel public. Les sénateurs David Assouline et Joël Labbé excusés, l’estrade est occupée par Jean-Michel Le Guennec, directeur adjoint de France 3 Pôle Nord-Ouest, Marcel Rogemont, député PS de Rennes et rapporteur de la loi sur l’audiovisuel en préparation, Jean-Michel Le Boulanger, vice-président de la Région Bretagne en charge de la Culture et Philippe Kieffer, journaliste spécialisé dans les médias. Sur scène, le micro circule durant plus de deux heures et demie (au lieu de l’heure et quart prévue) devant une salle attentive. Les longues allocutions des invités laisseront très peu de temps pour les questions du public…
Un contexte aux multiples contraintes
Le « grand rendez-vous politique » annoncé dans les différentes communications de Doc’Ouest nous laisse entrevoir combien les postures des institutionnels diffèrent. Chacun met l’accent sur ses propres enjeux sans vraiment répondre à la question centrale du débat : la mobilisation nécessaire autour d’un projet d’audiovisuel public décentralisé.
Force est de constater que le contexte est complexe et semble très contraint : d’un côté l’avis quelque peu critique du CSA sur le Contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, de l’autre une gestion des engagements quelque peu bousculée par l’instabilité des règles en cours depuis quelques années du côté de l’audiovisuel public.
Jean-Michel Le Guennec nous expose dans quels paradoxes France Télévisions évolue. Il regrette l’instabilité qui est de mise : règles floues imposées par le précédent COM, baisse drastique des ressources depuis l’arrêt de la publicité après 20h et les coupes budgétaires, imposés par l’Etat. Dès lors les obligations s’opposent. Renforcer l’offre régionale ou fédérer le public en s’adaptant aux nouveaux usages tout en diminuant le coût salarial est une gageure à laquelle l’entreprise unique de service public ne parvient aujourd’hui pas à répondre. La logique de fusion-absorption qui est en cours peine à avancer, le cadre social protégeant les salariés des stratégies de compression du personnel.
Nous entendons des uns et des autres qu’il faut « changer les habitudes », « sortir du mode de consommation des médias et opter pour des comportements plus citoyens », « s’inscrire dans une démarche globale pour repenser l’audiovisuel public », comment ne pas adhérer à ces vœux pieux. Et si tous s’accordent à penser que le service public devrait subir une refonte globale, la manière d’y arriver ne nous apparaît pas clairement à l’issue des débats.
« Est-on condamné à l’impuissance ? », s’interroge Philippe Kieffer, dont la présence à ce débat a permis, à plusieurs reprises, de revenir sur les questions de fond. Le CSA, supposé harmoniser et réguler le système, manque d’un réel pouvoir d’intervention. Les chaînes publiques sont en difficulté et l’on peine à dépasser ce constat pour les aider à réinvestir pleinement leurs missions de service public.
« Les questions de sens » chères à Jean-Michel Le Boulanger sont celles que nous aimerions voir portées par l’audiovisuel public. En écho à son discours d’ouverture, il assène la nécessaire décentralisation jugeant « anormal le centralisme régnant et préjudiciable à l’avancée de notre société ». C’est sur « la volonté politique, qu’il nous invite, à s’appuyer, pour transformer les utopies en réalité », volonté qu’il martèle depuis son élection en 2010. Rappelons comme lui que l’objectif de la Région est de solliciter auprès du gouvernement un droit à l’expérimentation, notamment dans le domaine de l’audiovisuel.
Plate-forme Bretagne
Jean-Michel Le Boulanger fonde son engagement sur deux valeurs : une filière audiovisuelle solide implantée dans un territoire marqué par « un fort sentiment d’appartenance ». Dès lors il souhaite mobiliser pour « représenter concrètement cet état de fait au niveau des médias et en particulier de l’audiovisuel. » Films en Bretagne s’est engagée dans cette réflexion et propose un média pluriel, sous la forme d’une plate-forme numérique, qui vise à « offrir une diversité de regards, mettre en perspective le fait régional, sortir de l’immédiateté. »
Autre fondement de ce nouveau média : s’appuyer sur les acteurs de la vie culturelle, universitaire et citoyenne. À Doc’Ouest, plusieurs ont donc été invités à s’exprimer : Xavier Le Jeune, directeur de l’ESTRAN, salle de jazz et musiques improvisées, Charles Quimbert, directeur de Bretagne Culture Diversité, Alain Surrans, directeur de l’Opéra de Rennes, Patrice Roturier, Vice-président numérique Université Européenne de Bretagne, Béatrice Macé, co-directrice des Transmusicales et Christian Ryo, directeur de l’EPCC Livre et lecture. Chacun, dans son domaine de compétences, assure partager les mêmes aspirations. Et il est réjouissant de voir combien l’enrichissement des contenus, la lutte contre la pensée uniforme, la recherche de transversalité et de mises en perspective sont volontés communes des participants. Alain Surrans insiste sur l’idée de « collaborer pour alimenter une plate-forme collective ». L’engagement de tous, y compris celui des télévisions locales et régionales, sera nécessaire à ce projet « pour décloisonner la culture, construire les regards. » Bien sûr, il est trop tôt pour les propositions concrètes et opérationnelles, mais Films en Bretagne en formalisera dès 2014.
L’enjeu de cette demi-journée intitulée « un projet pour l’audiovisuel public à l’ère numérique » a eu valeur d’échange. Le soutien des élus et notre effort collectif pour influer sur les pouvoirs publics sont, plus que jamais, primordiaux.
Elodie Sonnefraud
Photographie en Une © Ylm picture / Films en Bretagne. De gauche à droite : Jean-Michel Le Guennec, Marcel Rogemont, Serge Steyer, Jean-Michel Le Boulanger et Philippe Kieffer.