Dessine-moi un documentaire

Magistralement scellée par « Valse avec Bachir » et, depuis, très en vogue, l’union du documentaire et de l’animation a ouvert tout un champ d’exploration. Cette alliance est-elle de nature à renouveler le genre ? La question a été débattue à Doc’Ouest grâce à trois films, tous produits en régions.

Et tout d’abord, pourquoi avoir recours à l’animation dans un film documentaire ? Dans le cas de Juifs et Musulmans, si loin, si proches, ambitieuse série de 4 épisodes courant sur 14 siècles, il s’agissait de pallier l’absence d’images d’archives. Tout au moins dans les deux premiers opus qui racontent les débuts de cette relation unique. « Comme nous ne voulions pas de reconstitution fictionnée, c’était la seule façon de rendre compte de cette histoire », souligne Anne Labro, productrice au sein de La Compagnie des Phares et Balises. Le réalisateur Karim Miské, qui s’aventurait pour la première fois sur les terres de l’animation, y a découvert la liberté « d’inventer des scènes, d’aller encore plus loin en montrant ce que l’archive n’aurait de toute façon jamais pu montrer. »

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Mais il a aussi expérimenté une autre façon de travailler, en se voyant contraint d’écrire le film à l’avance. En animation, l’improvisation est proscrite. Jean-Jacques Prunès, qui a dessiné les story-board, constate que la fabrication du documentaire se situe aux antipodes de celle de l’animation. Evolution permanente du premier en fonction de ce qui surgit du « réel », prison du story-board, qu’il faut suivre à la lettre, pour la seconde. Mais le chassé-croisé des deux genres qui pourrait relever du mariage de la carpe et du lapin offre, au contraire, de belles voies de réinvention de l’écriture documentaire.
Pour raconter l’histoire de son père, allemand arrivé en France en 1945 à l’âge de 10 ans, Nadine Buss avait d’abord imaginé, de façon classique, retourner avec lui sur les lieux de son histoire. La réalisatrice a finalement choisi de donner une place importante à l’animation, jugeant que le pouvoir d’évocation du dessin servirait mieux ce récit intimiste et « apporterait davantage d’émotion ». Images réelles et animées se mêleront donc dans ce film qui est en cours de réalisation. La productrice Josiane Schauner de Bix Films accompagne ce choix d’autant plus volontiers que « l’animation n’est pas qu’un prétexte et participe vraiment à la narration. » Mais comme ce n’est pas sans conséquences sur le budget et le temps de fabrication du film, elle va devoir réévaluer son plan de financement et partir en quête d’autres diffuseurs pour donner à D’origine allemande les moyens de son ambition esthétique.

L’animation alourdit évidemment la production d’un film. La série « Juifs et Musulmans » a vu son budget et son temps de fabrication doubler. Mais les producteurs ont misé sur le potentiel international du film et ont eu accès à des aides plus importantes que pour un documentaire classique, ce qui leur a permis de réunir les 1,9 millions d’euros nécessaires à la réalisation des 4 épisodes. « Grâce à l’animation, on peut aller chercher d’autres fonds et faire travailler beaucoup de monde », précise Aurélie Angebault de Vivement Lundi !, co-productrice de ce projet. La société rennaise a surtout participé au premier épisode qui a fourni 1200 jours de travail à 31 professionnels de l’animation bretonne.
C’est une toute démarche qui a donné naissance à Jasmine d’Alain Ughetto. Ce film, qui porte l’art de modeler la pâte à un sommet, a été fabriqué quasi solitairement par ce réalisateur lunaire et inspiré. Et cette fois, l’animation constitue le cœur-même de l’histoire d’amour de Jasmine et d’Alain vécue à la fin des années soixante-dix en pleine révolution iranienne. C’est la redécouverte des lettres écrites par Jasmine qui a donné envie à Alain, déjà auteur d’une dizaine de courts métrages d’animation, de remettre la main à la pâte, de retrouver le souvenir en modelant les corps, de manipuler de ses deux mains, parfois présentes à l’image, ses petits personnages aux grands yeux creux, pourtant si expressifs. « Le choix de la pâte à modeler correspondait au sentiment amoureux. Et tout le film s’est raconté ainsi », explique le réalisateur.

Ce long métrage de 70 minutes a vu le jour chemin faisant, dans l’intimité d’un studio installé sur l’arrière-scène du cinéma l’Alhambra de Marseille. « Alain tentait des choses, reprenait, partait sur une autre idée », témoigne Alexandre Cornu des Films du Tambour de Soie. Porté par la certitude que la force du film convaincrait, le producteur a tout mis en oeuvre pour réunir les fonds. Il a fallu beaucoup de temps, « mais on est retombé sur nos pieds, grâce notamment à l’obtention de l’avance sur recettes après réalisation ». Il a imaginé une stratégie de diffusion qui consiste à sortir le film dans une vingtaine de salles, avec un engagement des exploitants à le maintenir à l’affiche pendant un mois. Histoire que le bouche à oreille ait le temps de faire son effet. On souhaite que, dans les années à venir, le ‘’documentaire animé’’ donne encore naissance à d’aussi belles œuvres.

Nathalie Marcault

Juifs et Musulmans, si loin, si proches : diffusion sur Arte du premier et du deuxième épisodes le 22 octobre et du troisième et quatrième épisodes le 29 octobre.
Une production Compagnie des Phares et Balises, en co-production avec Arte, France Télévision, Corse ViaStella et Vivement Lundi !
Avec le soutien du CNC, du programme MEDIA de l’Union européenne, de la Région Ile-de-France, de la Région Nord-Pas de Calais, de la Région Bretagne, de l’Agence nationale de la cohésion sociale et l’égalité des chances – L’Acsé – Fond Images de la diversité, de la PROCIREP – Société des Producteurs et de L’ANGOA.
Jasmine de Alain Ughetto, sortie nationale le 30 octobre.
Production d’Alexandre Cornu (Les films du Tambour de Soie), Michèle Casalta (Mouvement) et Alain Ughetto.
Avec le soutien des Films d’Ici, de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la participation du CNC, du programme MEDIA de la Communauté européenne, de la Collectivité territoriale de Corse et de la PROCIREP et de l’ANGOA.
D’origine allemande projet de de Nadine Buss.
Une coproduction Bix Films, BIP TV, TV Tours. Avec le soutien du CNC, de la Région Alsace, de Ciclic-Région Centre, de la Communauté urbaine de Strasbourg.

Photographie en Une, de gauche à droite : Aurélie Angebault, Anne labro, Jean-Jacques Prunès, Karim Miské, Brenard Boulad (Délégué général de L’AFCA), Alexandre Cornu, Alain Ughetto, Nadine Buss, Josiane Schauner © Ylm picture / Films en Bretagne