Ce titre, un brin provocant, est celui d’un livre qui paraîtra en octobre. C’est son auteur, Nicolas Bole, qui a animé la table ronde consacrée au webdocumentaire de création. Car, cette année, Doc’Ouest avait décidé de se faire l’écho des connaissances et réflexions en cours sur les nouvelles écritures numériques.
Qui de mieux placé que le jeune rédacteur en chef « webdocs et nouveaux médias » du Blog documentaire, – site désormais incontournable -, pour nous décrire la place prise par ce nouveau genre dans le paysage audiovisuel ? Lui qui a plutôt « biberonné » du documentaire classique lors de ses études a pris la tangente vers ce qu’il considère comme un nouvel espace de création.
– Alors le webdoc existe-t-il ?
– Nicolas Bole : on a un vrai problème de définition. La filiation avec le documentaire n’est pas la seule. Le webdoc relève aussi de l’installation, du jeu vidéo, de l’application… Disons que le webdoc, c’est un documentaire réalisé par et pour les moyens du web, et non sur le web. Il s’agit en fait d’un ensemble de médias et de modalités narratives spécifiques. C’est un monde protéiforme qui peut mêler le dessin, la cartographie, la photographie, la vidéo, etc., c’est-à-dire un ensemble de ressources traditionnelles, mais aussi des connaissances informatiques comme celles qui consistent à savoir coder ou créer des algorithmes dans les langages HTML, Java… On peut se dire que c’est un fourre-tout qu’on a du mal à cerner. On entend aussi dire parfois que c’est gadget. Mais si on se cantonne à ces réactions, on oublie le processus d’évolution. Le webdoc a 8 ans. Si l’on fait une analogie – un peu osée certes ! -, l’an 8 du cinéma, c’était 1903. Il s’en est passé des choses depuis ! Le webdoc est un champ d’expérimentation très vaste qu’on a juste commencé à explorer.
– Justement, comment ce genre multiforme évolue-t-il ?
– N.B. : le webdoc existe depuis à peu près 2005. La cité des mortes a été l’un des premiers du genre. C’est un programme interactif qui accompagne le livre La ville qui tue les femmes, enquête à Ciudad Juarez, écrit par Jean-Christophe Rampal et Marc Fernandez. Au commencement, ce sont plutôt des journalistes ou des photographes qui se sont intéressés au webdoc, en partie parce que le web, étant un puissant vecteur de diffusion, offrait une visibilité à des projets que la presse ne montrait plus. La donne change peu à peu avec les collaborations plus fréquentes initiées avec les webdéveloppeurs et les webdesigners. Grâce à eux et à leur connaissance du code, de nouvelles formes narratives sont apparues. Le webdéveloppeur n’est pas seulement un technicien. Plus tôt on fait appel à lui sur un projet, mieux c’est. Son apport est fondamental pour créer de nouvelles formes narratives.
– Puisque nous n’en sommes qu’au début, quelles sont les perspectives ouvertes par les nouvelles narrations numériques ?
– N.B. : c’est un des thèmes que nous abordons dans ce livre écrit en collaboration avec Cédric Mal ¹. Nous n’avons pas de réponses définitives mais nous nous interrogeons sur ce que le web est en train de changer dans nos vies, au-delà de l’aspect culturel. Nous cherchons à développer une pensée critique et une approche théorique de ces nouvelles pratiques, comme nous le faisons aussi sur Le Blog Documentaire. Par exemple, avec l’interactivité, la projection d’un webdoc sur grand écran – expérimentation que nous menons depuis quelques mois, notamment à la SCAM – est-elle capable de refonder un lien social qui s’est perdu dans le caractère consumériste de la salle de cinéma ? Cette dernière peut-elle d’ailleurs être un lieu de diffusion d’œuvres web ? Quid de l’archivage des webdocs, aujourd’hui hébergés sur des serveurs qui ne sont pas forcément pérennes ? Comment gérer les droits d’auteur liés à ce genre ? Quelles sont les différentes logiques de diffusion ? C’est un genre qui continue de se chercher, qui est en pleine construction.
– Son économie est-elle aujourd’hui plus solide ?
– N.B. : à l’instar du documentaire, il faut du temps pour concevoir et écrire un webdoc. Du temps, donc de l’argent. Les budgets s’échelonnent grosso modo entre 50 000 et 400.000 euros pour les œuvres les mieux dotées. Les financements sont avant tout publics. Depuis 2011, le CNC a mis en place un accompagnement spécifique via le WebCOSIP. Et avec quatre commissions par an, l’institution subventionne aussi environ 40 projets par an en développement. La SCAM dispose également d’un fonds de soutien, sous la forme d’une bourse, ainsi que la plupart des régions. Pour prétendre aux aides à la production du CNC, il faut avoir trouvé un diffuseur, les principaux étant France Télévisions, Arte, Radio France, Canal Plus, TV5 Monde et Le Monde. Comme tous les projets ne trouvent pas leur place sur ces antennes, certains ne dépassent pas le stade du développement.
– A Doc’Ouest, il a été question de créer un dispositif pour faire émerger et promouvoir les projets issus et/ou développés en régions. Qu’est-il sorti de ces réflexions ?
– N.B. : il y a une véritable demande pour sensibiliser les auteurs, réalisateurs et producteurs au webdocumentaire, et plus largement aux nouvelles formes d’écriture interactive. En dehors de Paris et des régions qui ont investi dans le domaine – les Régions Nord-Pas de Calais, Rhône-Alpes ou PACA notamment -, il y a encore peu de porteurs de projets. Il faut donc avant tout présenter ce qui existe, comme cela a été fait à Doc’Ouest.
Dans un second temps, un tel dispositif interrégional permettrait de faire émerger et d’accompagner de nouveaux auteurs, en les aidant à développer leurs projets dans le cadre d’ateliers qui réuniraient des professionnels d’horizons très divers, réalisateurs mais aussi concepteurs de jeu vidéo, dessinateurs, webdéveloppeurs… J’ai senti les participants intéressés par cette démarche, qui doit néanmoins encore être précisée avant une éventuelle mise en place.
Propos recueillis par Nathalie Marcault
¹ Cédric Mal est le directeur de la publication du Blog documentaire qu’il a fondé, il y a 3 ans. Le webdoc existe-t-il ? de Nicolas Bole avec Cédric Mal. Une édition Le Blog documentaire. Renseignements : le webdocexistetil@yahoo.fr. Disponible en octobre sur Internet et en librairies.