Bain de jouvence à Doc’Ouest

Les 13es rencontres professionnelles de Doc’Ouest faisaient la part belle à la relève en accueillant les étudiants de Licence 3 Arts du Spectacle et des classes préparatoires du lycée Chateaubriand de Rennes, ainsi que leurs prédécesseurs. L’occasion pour nous de prendre le pouls de nouvelles vocations et d’envisager l’avenir du cinéma documentaire – et du cinéma tout court – sous un très beau jour.

La vocation de Doc’Ouest ne s’interrompt pas aux limites d’un présent fort en mutations. Films en Bretagne l’a compris depuis longtemps, qui accueille traditionnellement les étudiants de la Licence Études cinématographiques de l’Université de Rennes 2 pour leur session de rentrée. Cette année, pour la première fois, les étudiants des Classes préparatoires littéraires Option cinéma-audiovisuel du Lycée Chateaubriand – accompagnés par la responsable de l’option, Yola Le Cainec – sont venus grossir les rangs de ces jeunes cinéphiles qui sont nombreux à projeter de faire du cinéma un métier, et multiplient les actions en direction du documentaire en particulier. D’anciennes étudiantes en khâgne étaient également invitées à introduire une table ronde intitulée « Un projet pour l’audiovisuel à l’ère numérique ». Une présence remarquable (la moitié environ des participants) et des interventions pleines de promesses qui nous ont donné envie de mieux connaître ces pupilles du documentaire : c’est aujourd’hui que demain se construit.
Avant Doc’Ouest et la rencontre opportune avec Anna Étienne, Ariane Papillon et Loreena Paulet, il y a un blog et les rencontres du film documentaire de Mellionnec.

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Ces films à part qu’on nomme documentaires

Cette citation – qui sert de titre et de porte d’entrée pour le blog que font vivre les étudiants de Yola Le Cainec –, c’est une réponse de Jean-Louis Comolli à leur invitation : invitation à prolonger l’aventure initiée par une conférence donnée par l’auteur, réalisateur, théoricien du cinéma sur le thème du « corps vivant et du corps filmé ». L’échange se poursuit donc à partir de ce média devenu le lieu de correspondances critiques par documentaire interposé.

Anna Étienne (aujourd’hui étudiante en Licence Cinéma à Paris III), parle des critiques qu’elle y publie comme « d’un entraînement », et des textes de Comolli comme d’une inspiration pour ses propres productions électives : « Lire ses publications obligeait à poser beaucoup d’enjeux éthiques et politiques autour du cinéma documentaire. Ce rapport avec l’être qui est à l’écran m’a vraiment touchée et intéressée à la fois. Son approche a connecté mon goût pour le cinéma avec la vie réelle ; ça m’a donné la sensation de pouvoir travailler plus en prise avec la réalité politique, sociale, de concilier le cinéma et d’autres préoccupations que j’ai dans la vie. Les questions soulevées par le documentaire m’ont permis d’apercevoir comment je pouvais concrètement travailler dans le cinéma sans m’éloigner de la réalité… » Cette rencontre avec Jean-Louis Comolli, ses écrits, la critique ont été pour Anna « une énorme ouverture de pistes. Mon intérêt pour le documentaire s’est accrû en le pratiquant. Plus on y réfléchit et moins on a l’impression d’en savoir ! »

Ariane Papillon et Loreena Paulet, en khâgne cette année, ont un rapport plus distancié avec le blog, même si Ariane dit prendre beaucoup de plaisir à y participer : « J’aime cette mise en forme de la pensée. ». Ariane se destine d’ailleurs au journalisme culturel (avant d’envisager la Fémis, qui la « fait rêver »). Cette démarche serait l’occasion pour elle de « servir de médiateur, donner accès à tous à une réflexion sur la culture, rendre la critique de films intéressante pour chacun, défier les sectarismes, la prétention de certaines publications. »

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Les Rencontres documentaires de Mellionnec

Anna, Ariane, Loreena, et une quatrième étudiante – Cécile La Prairie – ont été invitées à animer une table ronde avec les cinéastes présents au festival – sur le thème Le réel n’existe pas, il se fabrique –, et à initier les débats entre les réalisateurs et le public à l’issue des projections. Ariane et Loreena vont jusqu’à parler de « révélation, ça nous a ouvert les yeux ».
Si le rôle de médiateur n’a pas été facile à tenir, l’expérience les a non seulement enchantées, mais elle a suscité des vocations. Loreena, pour qui ces rencontres étaient une nouvelle expérience de festival (après Travelling à Rennes et le Jury jeunes du Festival vidéo jeunesse de Dinard¹) projette d’entrer à l’École du Louvre pour devenir manager culturel et travailler dans les festivals de cinéma, un monde qu’elle juge « à part, extraordinaire » ; elle souhaite « travailler en contact avec les réalisateurs, les artistes en devenir, promouvoir leurs créations. »
Anna et Ariane pensent un jour – qu’elles situent loin encore – passer à la réalisation de documentaires. Elles formulent leur désir de travailler en direction des jeunes, de les sensibiliser au documentaire de « développer des espaces de rencontre dans les milieux scolaires ou moins favorisés. »

Pour elles, ce qui semble primer, c’est la relation, tisser des liens entre les créateurs et leurs publics, et c’est surtout en ce sens que le Festival de Mellionnec a été pour elles un moment de grâce et un acte de reconnaissance d’un processus à l’œuvre en direction du documentaire. Ariane a vécu le festival comme « une formidable immersion et une réflexion inédite sur le documentaire » ; Anna d’ajouter qu’elle a « adoré le festival dans son approche du cinéma et du public. C’est un festival très humain et axé sur la communication. J’aimerais beaucoup retravailler avec eux à d’autres moments de l’année. » L’appel est lancé !

Une réflexion et des aspirations qui ne manquent pas de souffle

Ce blog et cette expérience à Mellionnec – en complément d’une réflexion plus théorique en classes préparatoires – ont permis à ces jeunes filles d’entamer un processus de recherche déjà très avancé sur et autour du documentaire. Cette relation conscientisée avec le cinéma et sa fabrication les a rendues plus exigeantes et plus fondées à critiquer les films qu’elles découvrent avec un plaisir toujours neuf, mais moins crédule. Anna nous confiait que depuis qu’elle s’intéresse au documentaire, sa cinéphilie est devenue « plus raisonnée ». « On a presque trop d’attentes vis-à-vis d’un documentaire à force d’en décortiquer. Il y a comme une parano qui naît : est-ce qu’il montre les choses de la bonne façon ? est-ce qu’il faut vraiment le dire comme ça ? J’attends d’un réalisateur de documentaire qu’il soit honnête avec moi, qu’il cherche à m’apprendre des choses plutôt qu’à me les cacher. J’attends d’un documentaire qu’il aille dans le sens d’un progrès humain. Ce que j’apprécie vraiment, c’est quand je sens que le regard porté sur les gens filmés est un regard qui n’est pas celui de la télévision, un regard conscient. »
Pour Ariane et Loreena, l’appréhension des dessous du documentaire a été capitale : « Avant, on était des spectateurs lambda, on regardait un documentaire en se disant : c’est comme ça le réel. » Ariane ajoute qu’elle imaginait « un cinéaste un peu neutre, qui posait sa caméra et laissait faire. » Grâce à la réflexion critique et aux discussions qu’elles ont pu avoir avec les réalisateurs, elles se sont rendues compte de la construction qui sous-tend l’œuvre de création documentaire.
Ces quatre jeunes filles sont les émissaires d’une jeunesse passionnée par le documentaire, forte des autres enseignements dispensés par la prépa, qui leur ouvrent un champ de réflexions dont la transversalité est une richesse inestimable. Leur parole est à l’image du regard averti, généreux, parfois « ému » ou « ébloui » qu’elles portent sur les films qu’elles voient et ce monde qu’elles fréquentent assidûment désormais : une parole sincère et engagée qui nous intéresse et nous oblige. L’avenir est (r)assuré.
Je laisse Anna finir en beauté avec cette tentative de définition de ses attentes vis-à-vis du documentaire : « On doit se sentir plus grand après qu’avant ».

Gaell B. Lerays
¹ Festival Vidéo Jeunesse de Dinard, organisé par la Maison des Jeunes Le Spot, le 13 avril 2013.
Photographies © Ylm picture / Films en Bretagne. En Une © Gaell B. Lerays