Avec le soutien des foules

Le crowdfunding ou, en français dans le texte, le financement participatif gagne du terrain. Solliciter les foules immenses qui surfent sur la toile est devenu… monnaie courante. Mais s’agit-il d’un réel instrument de financement ou plutôt d’un vecteur de communication ?

Les deux, mon capitaine ! Même si le terme de communication revenait très souvent dans la bouche des intervenants de cet atelier qui a clôturé la 13ème édition de Doc’Ouest. La discussion a pris appui sur deux études de cas : Paris-Brest Productions a eu recours au crowdfunding pour Les Chevalières de la table ronde¹, le nouveau documentaire de Marie Hélia et .Mille et Une. Films pour Les Lendemains, le long métrage de Bénédicte Pagnot.
Le producteur Olivier Bourbeillon et Muriel Riou, chargée de distribution, ont clairement misé sur le buzz. « On avait envie de tenter l’expérience, mais tous les films ne s’y prêtent pas. Les Chevalières de la table ronde racontent 50 ans de luttes pour les droits des femmes. On pouvait déjà mobiliser toutes celles et tous ceux que les questions du féminisme et du planning familial concernent ». Tabler sur une communauté d’intérêt serait une des clés du succès. Car la réussite d’une campagne est aussi fonction de la thématique du film. Si celle-ci est porteuse, elle a davantage de chance de toucher un public plus large, quoique souvent déjà concerné. Le crowdfunding ne prêcherait-il que des convaincus ?
En tout cas, si le premier cercle, celui de la famille et des proches, ne soutient pas ou pas assez, inutile d’espérer atteindre le deuxième cercle, celui des amis d’amis, qui, seul, permettra de passer le cap du troisième, celui des « parfaits inconnus ». C’est à 60% de la collecte qu’on parvient à toucher ce public extérieur, quel que soit le montant demandé. Pour Les Chevalières de table ronde, la sollicitation financière est restée modeste. L’objectif fixé était de collecter 3 000 euros sur les 150 000 du budget global via la plate-forme Octopousse, satellite de Ulule, le premier site européen de crowdfunding. Mission accomplie : l’internaute a répondu présent et le film a gagné en visibilité.
Pour Les Lendemains, le producteur Gilles Padovani, qui a fait appel au site Touscoprod, dresse un bilan plus mitigé. Les 15 000 euros espérés ont été obtenus mais il a fallu amorcer la mise. Et si l’on met bout-à-bout le temps consacré en interne à la campagne et les contreparties offertes aux donateurs, « l’apport reste très marginal. Mais c’est une façon de communiquer ».

Quitte ou double

Ces témoignages ont fourni l’occasion à Marie-Laure Colas, directrice Régions et Territoires chez Ulule, de faire le point sur ce nouveau mode de financement et de donner quelques conseils utiles.
Une campagne de crowdfunding, ça se prépare.
Premier point important : la durée. Tout dépend, bien sûr, du montant espéré et du réseau dont on dispose, mais mieux vaut envisager une période courte, 45 jours par exemple, que 3 mois. Mais attention ! Tous les sites fonctionnent sur le même modèle. Et si au jour J, l’objectif n’est pas atteint, on perd tout.
Deuxième point : soigner son plan de communication. Ce qui signifie qu’il faut caler sa campagne sur des temps forts en procédant par paliers. L’internaute est ainsi relancé à intervalles réguliers. « Si vous ne faites rien, ça stagne. On a démarré la campagne juste avant le tournage et on l’a déroulée sur 45 jours. La réalisatrice Marie Hélia donnait régulièrement des nouvelles du tournage sur Facebook », précise Olivier Bourbeillon. Et n’espérez pas que le site de crowdfunding fasse le travail à votre place. « Les plates-formes ont un rôle de conseillers, mais ne sont pas les collecteurs de fonds », a bien précisé Marie-Laure Colas.
Elle a cité l’exemple tout à fait exceptionnel de la web-série Noob et de ses 680 000 euros collectés : « C’est le record européen. La campagne s’est appuyée sur une communauté de geeks. Elle a tout de suite atteint les 35 000 euros fixés comme objectif de départ. Du coup, la production a fait monter les enchères. Avec 70 000 euros, la série pouvait être traduite en anglais. A 100 000, on introduisait des effets spéciaux et à 600 000, on se lançait dans une trilogie ». Ne rêvez pas, ces exemples sont rares. Les collectes s’échelonnent entre 500 et 100 000 euros avec une moyenne de 3 000 euros.
Troisième point : bien choisir les contreparties. L’internaute est attentif à ce qu’on va lui offrir en échange de sa participation : DVD, affiches, rencontres, invitation aux avant-premières, etc.
Mais à trop solliciter l’internaute va t-on finir par le perdre ? Le crowdfunding prospère-t-il sur fond de raréfaction des subventions publiques ? Quelles conséquences ce financement aléatoire a-t-il sur la production des films ? Qu’on s’en inquiète ou qu’on le plébiscite, il monte en puissance. Ulule a collecté 10 millions d’euros en 3 ans sur l’ensemble de ses campagnes. Aux Etats-Unis, la première plate-forme a réuni 274 millions de dollars et « d’ici 4 à 5 ans, des boîtes de communication spécialisées dans la collecte de fonds vont être créées aux USA », annonce Marie-Laure Colas…

Nathalie Marcault
¹ Les Chevalières de la table ronde : sortie nationale le 23 octobre 2013

Photographie en Une : de gauche à droite, Gilles Padovani et Lucie Jullien – .Mille et Une. Films, Marie-Laure Colas – Ulule, Muriel Riou et Olivier Bourbeillon – Paris-Brest Productions © Ylm picture / Films en Bretagne